Pour répondre à D.
Est-il plus facile de
donner vie à des mots ou à de la terre?
Difficile à dire, c'est si semblable et différent à la fois.
Un mot ou une courbe en appel d'autres pour lui répondre, chanter ensemble, se
lancer dans des jeux d'harmonies, d'échos, de reflets... Jusqu'à ce que la
boucle soit bouclée, que l'ensemble forme un tout.
J'ai probablement plus de mal avec les mots, mais c'est juste une question
d'émotivité.
L'argile est neutre, elle ne dit rien de sa propre voix et pourtant, sa
douceur, sa souplesse, sa fraîcheur
conduisent la main et guident l’œil.
Elle est la mélodie, le poème à naître, je suis l'instrument de cette
naissance. Je reste en quelque sorte extérieur, même si les courbes me
touchent et que c'est un peu de moi qui naît
avec chacune d'elles, mais c'est toujours après coup que je m'en aperçois.
Les mots, eux, sont porteurs de sens, Je sais dès le début qu'ils raconteront
quelque chose. Comment y mêler ma voix sans les dénaturer? Si je me sens
concernée par ce que je raconte, je suis comme frappée de mutisme. Mes phrases
deviennent laconiques et lapidaires, denses aussi, comme la boule qui me noue
le ventre. Pourtant, il m'est arrivé d'écrire, de composer, mais comme avec
l'argile, il faut pour ça que je reste sereine, observatrice de ce qui se fait
au travers moi.
Tout ça me rappel d'ailleurs que j'avais prévu de mettre mes poèmes et
compositions ici et que ce n'est toujours pas fait. Un jour sûrement...
Quant à ce que je fais
de mes oeuvres une fois terminées, et bien, elles restent dans un carton
jusqu'à ce qu'elles deviennent à leur tour source d'autre chose. Sujets
d'étude, de découverte, de création...
C'est l'oiseau qui m'a soufflé la technique de polissage et assis qui m'a amené
à dessiner ce qu'il m'évoquait à la façon de nuages dans lesquels se forment et
se déforment des créatures et saynètes. Tout est source. Comment disais Nerval,
déjà? Ha oui!
Vers dorés
Homme! libre penseur - te croîs-tu seul pensant
Dans ce monde, où la vie
éclate en toute chose :
Des forces que tu tiens ta liberté dispose,
Mais de tous tes conseils l'univers est absent.
Respecte dans la bête
un esprit agissant...
Chaque fleur est une âme à la Nature éclose;
Un mystère d'amour dans le métal repose :
Tout est sensible; - Et tout sur ton être est puissant!
Crains dans le mur
aveugle un regard qui t'épie :
A la matière même un verbe est attaché...
Ne la fait pas servir à quelque usage impie.
Souvent dans l'être
obscure habite un Dieu caché;
Et, comme un oeil naissant couvert par ses paupières,
Un pur esprit s'accroît sous l'écorces des pierres.
Et bien, je me sens souvent à mi-chemin de celui qui interpelle et de celui qui est
interpellé dans ce poème, tant face à ce qui m'entoure que face à ce que j'ai créé. Un jour, peut être que je ressentirais mes réalisations comme suffisamment abouties, le fruit comme parvenu à maturité et que l'exposition s'imposera à moi comme la prochaine étape naturelle de mes explorations. Peut être au contraires ces dernières prendront-elles un tout autre chemin? On verra bien.